Dimanche matin, 7h00.
Fiesta toute la nuit, très bonne soirée, il est temps de rentrer dormir.
On ne tient plus trop bien sur ses talons, mais on met un pied devant l'autre pour rentrer.
Il fait encore nuit, mais bonjour tout de même.
Mlle N. et moi entrons dans le métro, à Gambetta.
Un homme devant nous se retourne sans cesse et me fixe avec de gros yeux ronds.
Grand type.
Tête rase.
Type métisse café au lait
Chapeau, manteau et pantalon noirs.
Pull col roulé rouge.
Gros yeux ronds.
Pas trop rassurée, je presse Mlle N. d'entrer dans un wagon différent
Lui explique qu'un type ne m'inspirait pas confiance dans le premier wagon.
Première station, Père Lachaise, rien à signaler, mais je surveille les portes.
Deuxième station, St Maur, le bonhomme descend de son wagon.
Monte dans le notre en venant s'asseoir derrière nous.
Troisième station, Parmentier, Mlle N. descend.
Me voila seule à présent.
Quelques personnes dans le wagon, et lui.
Deux possibilités: faire mon changement à la prochaine, République.
Ou quelques stations après, à Opéra.
Tout le monde descend à République.
Je descend aussi, pour ne pas me retrouver seule avec lui dans ce wagon.
Couloirs du métro, je me sens toujours aussi suivie.
Un coup d'oeil à chaque tournant me confirme cette sensation.
Il me suit, il me fixe, avec ses gros yeux ronds.
Dans ma tête, tout tourne.
Fuite.
Ne pas trainer.
Ne pas courir.
Pourtant son pas se presse.
Continuer son chemin.
Calmement.
Trouver toujours du monde à côté de qui s'asseoir.
Se rassurer.
Je me mets à m'en vouloir de m'être mise en jupe et bottes la veille.
Ou de ne pas avoir pensé à emmener un pantalon pour le chemin du retour.
Sur le quai, il se cache derrière un distributeur selecta.
Il sort de sa cachette régulièrement pour vérifier que je suis toujours là.
Il me fixe, avec ses gros yeux ronds.
Je regarde le décompte des minutes sur le panneau de délai d'attente du métro.
Chaque minute qui s'écoule me rapproche de la prochaine esquive.
Le métro arrive, même scénario qu'à Gambetta.
Je monte dans un autre wagon.
Il est deux wagons plus loin.
Je le surveille de loin.
Lui aussi me surveille.
Son pull rouge et son chapeau noir me permettent de le garder à l'oeil.
Je le repère de loin.
Il est debout, et ne s'assied pas.
Pour pouvoir réagir si je descends?
Et c'est parti pour une dizaine de stations à égrainer.
Lentement.
Une à une.
Comme les boules d'un chapelet.
Patiemment?
Non.
Impatiemment.
Coups d'oeils perpétuels sur son wagon.
Toujours là?
Est-ce qu'il descend?
Ah non.
Il est toujours là.
Avec ses gros yeux ronds qui me fixent.
Je tremble.
La fatigue en ajoute.
Je suis dans un état d'affolement total.
Est ce que je continue jusqu'à ma station, Commerce?
Station qui donne sur un square sombre?
Est ce que je descends à Motte Piquet, la station avant?
Nous voilà à La Motte Piquet.
Il ne me laisse pas le temps de chercher une réponse.
Il descend de son wagon.
Il avance le long du quai.
Il arrive au niveau de mon wagon.
Il me fixe avec ses gros yeux ronds.
Il s'apprète à entrer dans mon wagon.
La porte se referme.
Il essaie de bloquer la fermeture.
Raté.
Il est coincé sur le quai.
Et moi je suis sauve.
A l'intérieur du wagon.
Je le fixe, sans broncher, sans aucune expression sur le visage.
Mon métro s'en va, je le vois qui me fixe depuis le quai.
Avec ses gros yeux ronds.
Et sa tête pas contente.
Moi. Chamboulée par ce revirement. Quelques instants, une impression de toute puissance. Malgré toute cette angoisse. L'impression de ne pas avoir douté que rien ne pouvait me faire de mal. Was it fate?
Grande expiration de la part de tout mon corps.
Mais surtout de la part de ma cage thoracique libérée.
Grand sourire intérieur.
Béatitude totale de réconfort.
Je descends à Commerce, il fait grand jour, le square est beau, il fait bon, je suis saine, sauve, vivante.
Merci mon ange gardien.